Société
Retour21 mai 2024
Lucie Charest - lcharest@medialo.ca
La même histoire 50 ans plus tard
Grâce au rachat de l'usine dans les années 1970, de nombreux Témiscaminois ont pu avoir une très belle vie
©Gracieuseté
La création de Tembec, a permis à toute une communauté de vivre des jours heureux. Susan Turner, ici en compagnie de son petit-fils Levi Gordon Plouffe, en est l’illustration éloquente.
RÉSILIENCE - Susan Turner avait 12 ans, au début des années 1970, lorsque la CIP a mis la clé sur la porte de l’usine où travaillaient son père, Gordon Turner, et son grand-père. Elle se souvient la lourdeur du nuage opaque qui semblait flotter au-dessus des foyers familiaux. Elle se souvient aussi la résilience, le cœur au ventre pour rester debout.
« Nous étions trois enfants, maman était enceinte de cinq mois, a relaté la jeune retraitée de RYAM. C’était des jours sombres. Papa a suivi des formations pour un autre travail. Beaucoup de monde ont quitté la ville. D’autres se sont révoltés. »
Après avoir fait une pause et retenu un sanglot, Mme Turner a repris son récit, comme si des images s’animaient encore dans sa tête. Un moment en particulier l’a marquée à tout jamais. Le 24 juin 1973, une manifestation pour empêcher le bois de l’usine d’être dirigé à l’extérieur s’est déployée sur le pont qui enjambe la rivière des Outaouais séparant le Québec de l’Ontario.
« J’avais 12 ans, je m’étais rendue près de la manifestation à vélo. J’étais à vélo, j’ai vu papa emprisonné dans une auto de police. Ils l’ont amené. Je me suis mise à pédaler, je savais plus où aller », a relaté Susan Turner avec une voix de petite-fille. Une voix sèche pourtant, où semblent se chamailler la peine, la douleur, mais aussi la colère.
Se rebâtir
Le film de l’ONF, «Témiscaming, Québec», réalisé par Martin Duckworth en 1975 circonscrit l’histoire de la fermeture de la CIP, de la mobilisation, syndicale, citoyenne, des cadres. Mobilisation qui a conduit à la création de Tembec en 1973. Tembec qui s’est hissée, par sa croissance et sa fine technologie, au rang des multinationales au succès des plus enviables.
©Gracieuseté Musée de la gare
Image tirée du film «Témiscaming, Québec», de Martin Duckworth où l’on aperçoit l’intervention des forces policières lors de la manifestation du 24 juin 1973.
Le Musée de la Gare, à Témiscaming, dont la création a bénéficié de l’engagement financier de Tembec envers la communauté, a d’ailleurs élaboré une exposition en 2022 pour souligner les 50 ans de la compagnie.
« Nous avions repris le slogan de l’usine Tembec, « Des gens qui construisent eux-mêmes leur avenir », a indiqué Marie-Pier Valiquette, directrice du musée. Il s’agissait d’une exposition temporaire, mais nous songeons à la représenter, car des gens nous le demandent régulièrement. Ils sont déçus en constatant qu’elle n’est plus présentée. L’histoire est tellement percutante, puissante. Ce serait certainement bienvenu de montrer aux gens comment on s’est relevés à cette époque, comment on peut s’inspirer de l’histoire pour regarder vers l’avenir. »
« L’usine fait partie de nous »
Susan Turner, comme tant de Témiscaminois, a fait carrière chez Tembec, y a connu de très beaux jours, comme son fils et son petit-fils qui y occupe un emploi d’été pour payer ses études universitaires.
« Le moulin, c’est nous, c’est notre vie. L’usine fait partie de nous, c’est notre cœur » - Susan Turner
« Mon petit-fils, Brody Plouffe, est la cinquième génération de la famille à travailler au moulin (sic), a-t-elle fait observer avec une pointe d’inquiétude dans la voix. Le moulin, c’est nous, c’est notre vie. L’usine fait partie de nous, c’est notre cœur. Ça ne peut pas fermer. »
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Peu de temps après l’achat de Tembec par RYAM en 2017, Mme Turner qui était impliquée au syndicat avait éprouvé un triste pressentiment. Le manque d’écoute des hauts dirigeants selon sa perception lui avait fait craindre le pire.
« Plus rien ne fonctionnait, a-t-elle déploré. Ils changeaient plein de choses, comme si nous n’avions plus de droits. J’ai commencé à ressentir de l’anxiété. J’ai eu des problèmes cardiaques. J’ai pris ma retraite. Plusieurs employés ont quitté le navire. Ce qui se passe aujourd’hui ne me surprend pas. Ça ressemble tellement à ce que nos parents ont vécu. Comme si l’histoire se répétait. Mais la fermeture, non il ne faut pas que ça arrive. »
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